La taxe de solidarité sur les billets d’avion, connue sous le nom de « taxe Chirac », a été créée en 2006 pour financer des initiatives sanitaires et sociales à l’échelle mondiale.
En octobre dernier, le gouvernement avait inscrit dans le projet de loi finances pour 2025 le triplement de la taxe de solidarité sur les billets d’avion afin de lutter contre le déficit budgétaire mais aussi faire participer le secteur aérien à la transition climatique. Avec la censure du gouvernement Barnier, les professionnels du secteur avaient espoir que cette mesure ne soit pas maintenue mais la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a confirmé en ce début de mois de janvier vouloir maintenir cette disposition.
Véritable mesure environnementale ou démagogie politique, revenons sur l’impact réel de cette taxe aérienne sur la planète.
I. Les objectifs de la taxe de solidarité sur les billets d’avion :
La taxe de solidarité sur les billets d’avion a été instaurée en 2006 sous l’impulsion de l’ex-président Jacques Chirac. Initialement, cette mesure avait pour but de financer des initiatives de santé mondiale, notamment via le programme Unitaid, afin de lutter contre des maladies telles que le VIH, la tuberculose et le paludisme. Elle visait à lever des fonds pour des projets sanitaires dans les pays les plus vulnérables, en particulier dans les pays en développement, tout en impliquant les voyageurs du monde entier dans cet effort solidaire. Alors qu’une trentaine de pays s’étaient engagés à l’appliquer, ils ne sont que 9 à le faire et la France est de loin le plus gros contributeur (60% des fonds proviennent des vols au départ de la France).
En 2020, une éco-contribution sur les billets d’avion vient s’ajouter à la taxe de solidarité sur les billets d’avion pour financer les mesures annoncées dans le projet de loi d’orientation des mobilités avec notamment une rénovation des infrastructures ferroviaires et routières pour les rendres plus écologiques. Elle va d’1€50 pour les vols intérieurs et intra européens en classe éco à 18€ pour les vols hors de l’Union européenne en classe affaires.
II. Le triplement de la taxe de solidarité sur les billets d’avion en 2025
La réforme prévue dans le projet de loi finances pour 2025 entraînera une hausse significative des tarifs de la taxe Chirac. Selon les estimations d’Air France, les nouveaux barèmes se déclinent comme suit :
Vols domestiques (y compris les DOM) et intra-européen :
- Cabines Economy et Premium : la taxe aérienne passe de 2,63 € à 9,50 €.
- Cabine Business : de 20,27 € à 30 €.
Vols au-delà de 5 500 km :
- Cabines Economy et Premium : de 7,51 € à 40 €.
- Cabines Business et La Première : de 63,07 € à 120 €.
Grâce à cette hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, c’est près d’un milliard d’euros par an que l’Etat espère récolter, contre 450 millions en 2023.
III. Pourquoi la hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion crée le débat ?
Une menace pour la compétitivité des compagnies aériennes françaises
La hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion affecte particulièrement les compagnies françaises comme Air France, car la majorité de leurs vols partent du territoire français et seront par conséquent concernés par cette mesure. Deux options s’offrent aux compagnies : elles devront soit absorber ce surcoût, au risque de réduire leurs marges et menacer des milliers d’emplois, soit répercuter ces frais sur les billets dégradant ainsi leur compétitivité.
Impact sur les petits aéroports français et l’économie locale
Les compagnies étrangères quant à elles seront incitées à limiter leurs vols au départ de la France en privilégiant notamment l’Espagne et l’Italie qui ont fait le choix d’alléger la fiscalité aérienne pour encourager le tourisme.
Les compagnies low cost notamment ont déjà menacé de réduire voire arrêter totalement leurs activités dans certains petits aéroports français, estimant que la hausse des coûts nuirait à leur modèle économique.
Ryanair a déclaré qu’il réduira sa présence sur dix des vingt-deux aéroports français qu’il dessert actuellement si la loi est votée. Ces menaces mettent en péril l’avenir de plusieurs plateformes régionales, qui jouent un rôle crucial dans le désenclavement de nombreuses zones rurales et génèrent une activité économique et touristique essentielle. La fermeture de ces aéroports pourrait entraîner des pertes d’emplois massives dans des régions souvent déjà économiquement fragilisées, aggravant les inégalités territoriales.
L’opacité persistante sur l’utilisation des fonds collectés
Depuis l’instauration de la taxe en 2006, la transparence quant à l’utilisation des revenus générés demeure un point de tension. Alors que la taxe aérienne initiale finançait principalement des programmes sanitaires mondiaux comme Unitaid, les augmentations récentes sont critiquées pour leur flou sur leur finalité. Jean-François Dominiak, représentant du Scara, souligne l’importance de lier cette augmentation à des projets environnementaux concrets, comme le financement de la transition écologique du secteur aérien. Sans une affectation claire et justifiée, cette taxe pourrait apparaître davantage comme un outil de réduction du déficit public que comme une mesure environnementale ambitieuse.
Un enjeu crucial pour les territoires ultramarins
Pour les habitants des DOM-TOM, l’avion constitue souvent le seul moyen de transport pour relier la métropole. La perspective d’un triplement de la taxe suscitait des inquiétudes légitimes, en raison d’un impact financier bien plus lourd que pour les résidents métropolitains, qui bénéficient d’alternatives comme le train. Conscient de cette inégalité, le Sénat a décidé d’aligner les trajets entre la métropole et les DOM-TOM sur le barème intra-européen, indépendamment de la distance. Cette décision, bien qu’atténuant les effets pour ces populations, n’a pas totalement dissipé les critiques sur l’équité de la mesure.
IV. Un exemple de greenwashing gouvernemental
Le greenwashing n’est pas réservé aux entreprises. Le gouvernement a ici montré qu’il en était tout aussi capable en martelant qu’il s’agissait d’une «mesure de justice fiscale et écologique». Le problème n’est pas en soit la hausse de la taxe chirac, c’est l’utilisation de l’argument écologique qui pose problème. Ce qui est pointé du doigt, c’est la démagogie du gouvernement, qui présente cette mesure comme une initiative environnementale, alors que les fonds collectés serviront à combler le déficit de l’État plutôt qu’à financer des projets de reforestation ou de décarbonation.
On pourrait se dire que même si l’argent collecté ne sert pas directement à soutenir des initiatives durables, la hausse du prix des billets réduira mécaniquement le nombre de vols et donc les émissions de carbone du transport aérien. Mais ce n’est pas forcément le cas. En effet, en 2023, malgré une hausse de 32% des tarifs de l’aviation, la fréquentation n’a pas chuté pour autant : au contraire elle a continué d’augmenter.
Enfin, nous sommes loin de la “justice fiscale et environnementale” mise en avant par le gouvernement car les plus impactés seront les plus modestes qui voyagent peu et ne pourront plus se permettre de partir en vacances. A l’inverse, les plus aisés continueront de voyager malgré la hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion car ils seront capables d’absorber la hausse de prix.
Voici un exemple qui vous aidera à comprendre pourquoi :
Avec les compagnies low-cost privilégiées par les plus modestes, il est aujourd’hui possible de voyager au sein de l’Union Européenne pour moins de 50€. Avec une taxe de solidarité sur les billets d’avion grimpant à 9.50€, cela représentera presque 20% du prix du billet.
Alors que pour un vol long courrier de plus de 5 000 kms, la taxe qui s’élèvera désormais à 40€ ne représente que 3% du prix du billet.
Finalement, cette mesure est tout l’inverse de ce que promet le gouvernement : elle est à la fois injuste car elle ne fait que renforcer les inégalités et inefficace car ce sont les ménages les plus modestes qui vont réduire leurs dépenses consacrées aux voyages alors que les 20% de la population aux revenus les plus élevés qui sont responsables de plus de la moitié des dépenses consacrées aux voyages en avion, continueront à voyager.
V. La taxe grands voyageurs aériens : une solution plus juste !
Plutôt que de généraliser une taxe uniforme sur tous les billets d’avion, l’idée d’une taxe sur les grands voyageurs se distingue comme une alternative à la fois plus équitable et alignée sur les enjeux climatiques. Inspirée par des propositions de Réseau Action Climat et d’autres experts, cette mesure consiste à appliquer une fiscalité progressive : plus un individu prend l’avion fréquemment, plus la taxe augmente. Comme vous pouvez le voir sur le barème ci-dessous, le premier aller-retour au sein de l’Union Européenne et en classe éco ne serait soumis à aucune taxe tandis que le voyageur devra payer 50€ pour le deuxième aller et retour et jusqu’à 400 à partir du cinquième aller-retour effectué dans une année.
Cette taxe aérienne progressive ciblerait ainsi spécifiquement les passagers qui prennent fréquemment l’avion, souvent issus des catégories socio-économiques les plus aisées, tout en préservant l’accès au transport aérien pour les voyageurs occasionnels.
Selon les experts, elle pourrait permettre de diminuer de 14% le trafic aérien entraînant une baisse des émissions de CO2 de 13,1%, et un excédent de 2,46 milliards d’euros pour l’État.
Plus de la moitié des recettes proviendrait des 5 % de personnes qui prennent le plus l’avion, tandis que 72 % de la population ne sera pas soumis à cette taxe, soit car il n’auront pris l’avion qu’une fois dans l’année, soit parce qu’il ne l’ont pas pris du tout.
Le collectif d’ONG Stay Grounded espère remplacer la taxe de solidarité sur les billets d’avions par la taxe grands voyageurs aériens au sein de l’Union Européenne d’ici à 2028.
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