La Fashion Week printemps-été 2025 vient de s’achever à Paris, et une fois encore, nous avons vu défiler des mannequins filiformes dans des tenues spectaculaires, souvent loin de nos réalités quotidiennes. Ces créations, à la fois extravagantes et inaccessibles, s’accompagnent de shows aux moyens démesurés, attirant des milliers de personnes venues des quatre coins du monde. En apparence, tout cela semble incohérent avec la mission environnementale que les grandes marques de luxe proclament aujourd’hui.
Alors que la durabilité est devenue un impératif stratégique pour toutes les industries, le secteur du luxe n’échappe pas à cette pression croissante. Les consommateurs, particulièrement les jeunes générations, exigent davantage d’inclusion, d’éthique et de respect de l’environnement.
Mais le luxe, par essence synonyme de rareté et d’exclusivité, peut-il vraiment embrasser une démarche durable et sincère, sans tomber dans le piège du greenwashing ?
Dans cet article, je vous propose de revenir sur l’ADN du luxe qui au premier abord semble incompatible avec la notion de développement durable avant d’examiner les pistes envisageables pour rapprocher ces deux mondes en apparence contradictoires.
Lorsque luxe et développement durable s’opposent…
À première vue, luxe et développement durable semblent être des concepts profondément opposés. Une simple consultation des définitions du mot « luxe » permet de comprendre pourquoi.
La consommation ostentatoire de biens superflus
Selon le CNRTL, le mot luxe désigne une “pratique sociale caractérisée par des dépenses somptuaires, la recherche de commodités coûteuses ou de biens raffinés et superflus, souvent par goût du faste ou désir d’ostentation”. De même, le Petit Robert parle d’un « mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées au superflu ». Ce concept va à l’encontre de la sobriété promue pour faire face aux défis environnementaux. Le luxe reviendrait à s’acheter des biens dont on n’a pas réellement besoin dans le but de revendiquer une certaine position sociale, d’impressionner les autres. Cela entre en contradiction avec le principe de consommation responsable, qui privilégie les produits nécessaires, durables et respectueux de l’environnement.
L’exclusion et les inégalités
De plus, alors que le développement durable prône l’inclusivité et l’accessibilité, le luxe, au contraire, fonctionne par l’exclusion. Une marque de luxe tire sa valeur de son exclusivité, de sa capacité à limiter l’accès à ses produits par des stratégies de prix élevés et un marketing élitiste. Le prix, souvent décorrélé de la valeur intrinsèque de l’objet, sert à marquer cette barrière symbolique entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas s’offrir ces produits.
Ce mécanisme d’exclusion va plus loin et soulève une question éthique fondamentale liée au pilier social du développement durable : celle des inégalités. En effet, comment justifier l’achat d’un dixième sac à main à plus de 2000€ quand, dans le même temps, des millions de personnes peinent à couvrir leurs besoins essentiels ?
L’utilisation de ressources naturelles rares
Enfin, l’un des aspects les plus problématiques du luxe en matière de durabilité est l’utilisation de ressources rares et souvent épuisables. Les matières premières traditionnellement utilisées dans la confection d’objets de luxe – l’or, les pierres précieuses, les fourrures, l’ivoire, etc. – sont convoitées précisément parce qu’elles sont rares. Or, l’extraction de ces matériaux a souvent des impacts écologiques et sociaux considérables, allant de la déforestation à la destruction d’écosystèmes, en passant par l’exploitation humaine.
Ainsi, cette quête de la rareté, nourrie par le luxe, entre en opposition avec l’essence même du pilier environnemental du développement durable, qui repose sur la préservation des ressources naturelles pour les générations futures. Dans un monde où les matières premières deviennent de plus en plus limitées, la perpétuation d’un modèle basé sur l’exclusivité matérielle est de plus en plus difficile à justifier.
À première vue, luxe et développement durable semblent difficilement conciliables. Pourtant, des initiatives émergent, ouvrant la voie à un luxe plus respectueux de l’environnement et des enjeux sociaux.
Comment conjuguer luxe et développement durable ?
Si les marques de luxe s’étaient jusqu’à présent contenter de compenser leur impact carbone par des activités de mécénat de projets sociaux ou environnementaux, certaines commencent à aller plus loin en intégrant notamment le principe d’économie circulaire.
Promouvoir des biens durables
Selon Jean-Noël Kapferer, professeur à HEC Paris, on assiste aujourd’hui à une luxification de la société qui se traduit par l’apparition du mot luxe “partout, pour tout, pour tous”.
Tout le monde veut avoir accès au luxe pour le statut social que cela confère alors qu’il serait bénéfique que la principale motivation à consommer du luxe soit la qualité et la durabilité des produits.
En effet, s’il y a un point sur lequel luxe et développement durable se retrouvent, c’est celui de la qualité. Le luxe s’oppose au concept de la fast fashion en proposant des pièces intemporelles, fabriquées artisanalement avec des matériaux de qualité procurant une grande longévité aux produits.
Le rôle des marques de luxe n’est donc pas de pousser les consommateurs à acheter toujours plus, mais plutôt de leur proposer des produits conçus pour durer et de les inciter à prendre soin de leurs biens. De plus en plus de maisons de luxe prennent d’ailleurs cette direction en proposant des services de réparation, permettant ainsi de prolonger la durée de vie de leurs créations. C’est le cas de la marque Bottega Veneta qui a lancé le “certificate of Craft” en 2022 offrant des services d’entretien gratuits lors de l’achat de l’un de leur produit iconique.
Par ailleurs, un bien de luxe, de par sa qualité et sa rareté, peut transcender les générations. L’achat d’une pièce de luxe devient alors plus qu’une simple transaction : il s’agit d’un investissement à long terme, un bien patrimonial que l’on peut transmettre à ses descendants. Un sac à main, une montre ou un bijou peuvent ainsi se transformer en objets de famille, porteurs d’histoire et de valeurs. Cette transmission symbolique renforce l’idée de durabilité et de slow fashion, prônant une mode qui résiste au temps, aussi bien dans sa qualité que dans son design.
En recentrant l’idée du luxe sur des produits de haute qualité, durables et intemporels, il devient possible de proposer un modèle respectueux de l’environnement tout en maintenant son essence prestigieuse.
Rendre désirables les matières recyclées ou synthétiques
Les marques de luxe font face à une clientèle très exigeante qui a intériorisé que la valeur d’un bien dépend presque exclusivement de sa rareté. Ainsi, un solitaire orné d’un diamant de synthèse, des vêtements faits à partir de tissus recyclés ou un sac à main en cuir végétal sont parfois perçus comme moins prestigieux que leurs homologues fabriqués avec des matières conventionnelles.
Toutefois, il est désormais crucial, face aux enjeux environnementaux, de redéfinir ces codes. Il incombe alors aux marketeurs de faire évoluer les mentalités et de démontrer que le recours à des matériaux recyclés n’altère en rien la qualité ou l’exclusivité d’un produit et qu’au contraire, il s’agit d’un nouvel élément de différenciation. Un sac en cuir végétal, par exemple, peut être présenté non pas comme une simple alternative au cuir animal, mais comme une innovation à la pointe de la technologie, conjuguant respect de la nature et esthétique avant-gardiste.
Certaines maisons de joaillerie ont déjà initié cette transition en proposant des solutions comme la refonte des anciens bijoux de famille en or pour créer de nouvelles pièces. Plutôt que de laisser ces trésors dormir dans des coffres, cette approche permet non seulement de valoriser l’héritage personnel, mais aussi de réutiliser des ressources précieuses déjà extraites.
Ainsi, en recentrant leurs récits autour du respect de l’environnement, de l’innovation technologique et du savoir-faire, les marques peuvent non seulement maintenir le prestige qui entoure leurs produits, mais aussi encourager une consommation plus éthique et responsable.
Rendre le secteur du luxe plus inclusif
Enfin, dans une industrie qui, comme nous l’avons vu, est historiquement axée sur l’exclusivité, il est essentiel de repenser les pratiques afin de rendre le luxe plus inclusif.
L’économie de la fonctionnalité offre une première piste. Plutôt que de se concentrer sur la propriété d’un bien, cette approche met l’accent sur son usage. Par exemple, une personne qui a besoin d’une robe de créateur pour un événement ponctuel peut la louer plutôt que de l’acheter. Cela permet de démocratiser l’accès aux produits de luxe tout en contribuant à une consommation plus responsable. En effet, en permettant le partage d’un bien entre plusieurs individus, le ratio utilité/ressources consommées augmente (la même quantité de matières premières provoque une satisfaction supérieure). Les plateformes de location de vêtements et d’accessoires de luxe se multiplient, offrant aux consommateurs l’opportunité de profiter de la mode haut de gamme sans l’engagement financier et environnemental associé à l’achat d’une pièce neuve.
La seconde main constitue également une alternative puissante pour rendre le luxe plus inclusif. Elle permet non seulement d’allonger la durée de vie des objets, mais aussi d’élargir le spectre de consommateurs pouvant accéder à ces biens de qualité. Plutôt que de laisser un sac à main ou un bijou non utilisé prendre la poussière, ces articles peuvent être transmis à une nouvelle génération d’utilisateurs, incarnant ainsi un modèle plus circulaire et durable.
Mais l’inclusivité ne se limite pas à l’accès économique. Les marques doivent montrer qu’elles s’adressent à tous, qu’elles valorisent la pluralité et qu’elles reconnaissent la beauté dans la diversité humaine. Cette démarche n’est pas seulement éthique, elle est aussi nécessaire pour toucher de nouvelles générations de consommateurs qui placent l’inclusivité et la diversité au cœur de leurs préoccupations.
Attention de ne pas tomber dans le piège du greenwashing…
En conclusion, le secteur du luxe, grâce à sa puissance financière et à l’absence de contraintes liées aux prix élevés, dispose des moyens nécessaires pour adopter une véritable démarche éco-responsable. Contrairement à d’autres industries, il a la capacité de produire des biens durables tout en respectant l’ensemble des parties prenantes, dont la nature fait partie, bien qu’on l’oublie souvent.
Le véritable défi repose sur les équipes marketing, qui doivent redéfinir l’imaginaire collectif autour du luxe pour l’aligner avec les enjeux du développement durable.
Le marketing est un outil de persuasion formidable que les marques ne doivent plus utiliser pour générer des besoins inutiles et vendre un maximum de produits mais pour éduquer, sensibiliser et orienter vers une consommation plus responsable.
Cependant, pour que cette transition soit crédible et inspire confiance aux consommateurs, les marques de luxe doivent s’engager de manière sincère et holistique. Il ne suffit plus de multiplier des initiatives opportunistes pour cocher la case de la durabilité : elles doivent repenser l’ensemble de leur modèle et éviter le piège du greenwashing en intégrant les principes du développement durable à chaque étape de leur chaîne de valeur.
C’est ainsi que le luxe et développement durable pourront véritablement se réconcilier.
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Félicitation super projet
Félicitations ! Super intéressant et bien écrit bravo !