Donner un coup d’éclat à sa garde-robe sans se ruiner , être dans l’air du temps et à l’affût des dernières tendances vestimentaires n’a jamais été aussi accessible avec l’ère de la fast fashion. Une industrie qui a changé la donne et bouleversé radicalement les codes du prêt-à-porter. Perçu à la fois comme un signe d’appartenance sociale, un moyen d’affirmer son individualité et asseoir sa personnalité, être bien habillé aujourd’hui pour être bien accepté est devenue une obsession commune. Cela étant, l’achat de produits textiles s’est largement démocratisé au fil des années du à l’émergence sans précédent des géants de la mode à petits prix. Arborant des prix dérisoires , alléchants , imbattables sur le marché et défiant toute concurrence ; nos articles coup de cœur sont à portée de main mais est-on réellement conscient du prix payé pour une jupe de 7 euros ?
La montée en puissance d’une industrie dévastatrice
L’industrie de textile évolue à vitesse grand V . Les chiffres font foi : En 2021, le marché du textile-habillement a rebondi de 8,2% en France . Ceci dit , il est aujourd’hui évalué à 13,3 milliards d’euros . En termes de consommation , plus de 130 milliards de vêtements sont exploités chaque année dans le monde. Selon les statistiques, les français consommeraient en moyenne 9 kg de textiles par habitant et par an et c’est uniquement le tiers qui passerait au tri soit 5,8 kg de vêtements échapperaient ainsi au recyclage. Sur une échelle européenne , c’est 4 milliards de tonnes d’habits qui font l’objet de déchets vestimentaires annuellement.
Des chiffres effarants , déstabilisants en perpétuelle croissance hallucinante qui prouvent que ces marques influentes nous retiennent prisonniers d’un cercle vicieux de surconsommation faisant de nous des fashion victims à notre insu. Les marques de textile occupent , sans conteste , une place prédominante dans le quotidien des consommateurs et ne sont pas prêtes à céder ce privilège mais aux dépends de qui ?

Le 24 avril 2013 : retour sur un désastre humain
C’est en 2013, qu’on s’est vu confronter à la réalité derrière nos t-shirts à 9,90€.
Le 24 avril 2013, le bâtiment Rana Plaza à Dacca et lieu d’approvisionnement de marques de prêt à porter de renom, abritant des ateliers de confection, s’effondre . Ce tragique incident aurait couté la vie à 1 130 ouvriers devenant incontestablement l’une des catastrophes les plus sanglantes de l’histoire de l’industrie du textile. Cet accident funèbre a fait tomber le voile sur la face macabrement cachée de la fast fashion qui a fait couler du sang mais aussi de l’encre provoquant ainsi une vague d’indignation suivie d’une prise de conscience collective.
“Les gens n’ont pas idée à quel point c’est difficile pour nous de confectionner leurs vêtements. Ils se contentent de les acheter et de les porter. Je pense que ces vêtements sont produits par notre sang”, nous confie une ouvrière bangladaise dans un témoignage poignant dans le documentaire «The true cost ».
Les esclaves modernes au cœur d’inégalités inégalées
Dans des pays où le coût de la main d’œuvre est faible et les droits sociaux quasi inexistants , les multinationales implantent leurs usines de production , s’enrichissent et multiplient leurs filiales au détriment d’un capital humain vulnérable et surexploité. Cette mondialisation non-régulée profite pleinement à des firmes mondialement puissantes qui n’ont que très peu de considération d’ordre social , éthique ou environnemental. Ces dernières années, des marques d’ultra fast fashion se sont même lancé le défi de produire et de livrer encore plus vite et moins cher que les vendeurs traditionnels. Mais leur efficacité se paie au prix fort.
Des heures de travail excessives , non-respect des normes de sécurité , une pauvreté extrême, une violation flagrante des droits humains, une précarité sociale cinglante , des conditions de vie des plus déplorables : bienvenue au règne des oubliés victimes d’une industrie où un chiffre d’affaires est plus valorisé qu’une vie humaine, où les gouttes de sueur d’un ouvrier se comptent en dollars , où la rentabilité financière transcende toute forme de dignité humaine .
En Grande-Bretagne, ces vêtements sont fabriqués dans des ateliers insalubres par des ouvriers payés la moitié du salaire minimum. En effet, une étude révèle que plus de 125 milliards de dollars de vêtements issus de l’esclavage moderne seraient importés chaque année dans les pays du G20. Ceci dit , plus de 40 millions de personnes à travers le monde- dont 70 pour cent de femmes – seraient réduites à une forme moderne d’esclavage. Selon l’Organisation internationale du Travail , 21 millions est le nombre de personnes victimes de travail forcé , exploitées dans des champs, des usines, sur des chantiers, générant environ 150 milliards de dollars de profits illégaux.

83 marques sont mises sur la sellette
Le 1er mars 2020, l’Institut australien de stratégie politique a révélé au grand jour un rapport dénonçant le travail forcé de 80 000 Ouïghours au profit de marques réputées de prêt à porter dont Zara, Uniqlo, Nike, Adidas, Gap, Apple ou Samsung. D’après ce que le rapport nous apprend, ce sont plus de 80 000 esclaves dans la région du Xinjiang qui auraient été envoyés dans des usines « appartenant aux chaînes d’approvisionnement de 83 marques connues mondialement dans la technologie, le textile et l’automobile ».
Ces 83 marques prétendent ne pas être au courant de ce qui se passe dans leur propre chaîne de production. Toutefois, la société mère d’une firme multinationale doit remplir un devoir de vigilance autrement dit elle doit théoriquement être responsable juridiquement de l’ensemble de sa chaîne de production. Plus explicitement, si elle n’est pas en mesure d’attester que son fournisseur chinois n’exploite pas des esclaves, elle est obligée de mettre fin à toute relation avec ce dernier.
« Vous engagez-vous à cesser toute activité avec des fournisseurs et sous-traitants impliqués dans l’exploitation de travailleurs forcés Ouïghours ? » Telle est la question largement médiatisée posée par l’eurodéputé Raphaël Glucksmann . Publiquement interpellées , furieusement pointées du doigt et fortement critiquées par l’opinion publique , les marques inculpées ont décidé de réagir . Adidas, la première marque à avoir rétorqué aux accusations et assume publiquement son engagement à cesser toute activité avec des fournisseurs et sous-traitants chinois impliqués dans l’exploitation des travailleurs forcés Ouïghours. Ce fut ensuite au tour de Lacoste de répondre et annoncer son engagement. Figurant également sur la liste des incriminés, Tommy Hilfiger et Calvin Klein se sont engagées à mettre un terme à tout type relation commerciale ou d’union avec leurs fournisseurs mis en cause. Quant au géant américain de la mode sportive , Nike, pourtant amplement inculpée à l’égard de son usine sous-traitante Taekwang, a décliné toute exigence l’obligeant à abolir l’esclavage des Ouïghours. Si certaines marques ont joué la carte de la transparence , il y’a d’autres qui ont préféré jouer la carte du silence et fuir toute prise de position par rapport à leur implication .
Au cœur de cette situation conflictuelle , ces marques qui ont pris le soin de bâtir leur capital image brique par brique et s’ancrer savamment dans l’esprit du consommateur sont confrontés aujourd’hui à un enjeu de taille portant atteinte à leur image . Ceci dit , ces géants de prêt-à-porter vont-ils continuer à faire la sourde oreille et prendre très peu d’engagements concrets quand leur image de marque est mise en péril ?
Slow fashion : vers une nouvelle forme de mode plus humaine
Quel est le prix réel d’un vêtement ? est la question que doit tarauder l’esprit de tout consommateur quand il débourse 11euros pour un pull . Personne ne peut nier que ce qui motive principalement nos achats est le prix très accessible mais au-delà de notre porte-monnaie , ne doit-on pas prendre en compte le coût de la vie de la personne qui a travaillé pour ?

Libérer les esclaves modernes des chaines de la fast fashion et mettre fin à leur calvaire quotidien est désormais possible si « consommer moins mais consommer mieux » devient une préoccupation universelle. En effet , une consommation plus responsable , plus durable et plus éthique est le socle de ce qu’on nomme aujourd’hui la slow fashion aux antipodes de la fast fashion.
Un mouvement qui prend progressivement de l’ampleur dans l’industrie de la mode et mobilise plus de consommateurs . Son credo ? des principes de mode plus équitables et plus pérennes. Par ailleurs , l’ultime objectif de la Slow Fashion est de penser conditions de travail plus que production pour ainsi assurer un meilleur environnement de travail aux ouvriers et réduire l’impact environnemental tout en ambitionnant de limiter la surproduction et la surconsommation des vêtements .
De manière plus concrète ,la Slow fashion permet de mettre en avant les petits producteurs locaux, des marques responsables qui portent une attention particulière aux conditions de travail des employés et au coût environnemental, des entreprises qui privilégient la qualité à la quantité , qui s’inscrivent dans une approche durable de la mode. D’une perspective consommateur , l’idée est de payer plus cher, acheter moins et garder plus longtemps.
Quand on vit dans un société où le consumérisme bat son plein et où on a pris l’habitude d’avoir un vêtement de chaque couleur et pour toutes les occasions, passer de la fast fashion à la slow fashion n’est pas évident. Toutefois , une prise de conscience collective se profile à l’horizon et un changement du mindset consommateur est en train de voir le jour.
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